- MÖSSBAUER (EFFET)
- MÖSSBAUER (EFFET)Le phénomène d’émission et d’absorption de photons gamma par des noyaux atomiques sans perte d’énergie due au recul de ces noyaux ni perte de résolution due à leur agitation thermique fut découvert et expliqué par le physicien allemand Rudolf L. Mössbauer en 1957-1958, ce qui lui valut le prix Nobel de physique en 1961. Ce phénomène de fluorescence résonnante sans recul des noyaux, universellement connu sous le nom d’«effet Mössbauer», concerne des rayonnements gamma de faible énergie émis et absorbés par des noyaux appartenant à des corps solides. Du fait de leur caractère monochromatique et de leur très grande finesse spectrale, ces rayonnements ont donné naissance à une spectrométrie de grande résolution, utilisée principalement en physique et chimie des solides, mais aussi dans de nombreuses disciplines telles que métallurgie, minéralogie et géophysique, biophysique, archéologie, etc.L’origine physique de l’effet MössbauerLorsqu’un noyau libre émet par désexcitation un photon gamma, il acquiert une énergie cinétique de recul ER = E02 / 2 mc 2, E0 étant l’énergie de la transition nucléaire considérée, m la masse du noyau et c la vitesse de la lumière. D’après le principe de conservation de l’énergie, l’énergie E size=1塚 du photon gamma émis est égale à la différence E0 漣 ER. Si le noyau appartient à un cristal, l’énergie de recul sert à réchauffer celui-ci, c’est-à-dire à augmenter l’énergie des vibrations du réseau cristallin. Toutefois, ce transfert d’énergie au cristal est nécessairement quantifié et ne peut s’effectuer que par création d’un nombre entier de quanta d’énergie de vibrations cristallines, ou phonons. En fait, lors de la désexcitation d’un grand nombre de noyaux identiques, les processus d’émission gamma accompagnés de création de zéro, d’un ou de plusieurs phonons coexistent, avec des probabilités différentes, et ce n’est qu’en moyenne que l’énergie de recul fournie au réseau cristallin est égale à l’énergie de recul ER du noyau libre. La «raie Mössbauer» correspond, dans le spectre d’émission gamma de cet ensemble de noyaux, aux processus à zéro phonon, c’est-à-dire à ceux qui ne mettent en jeu aucun échange d’énergie avec le cristal. C’est pourquoi le rayonnement gamma Mössbauer possède exactement l’énergie E0 de la transition nucléaire (fig. 1). La largeur de la raie Mössbauer est donc égale à l’incertitude naturelle sur la valeur de E0, qui est elle-même celle du niveau excité du noyau (généralement inférieure à 10 size=1漣7 eV). Au contraire, les processus d’émission avec transfert d’énergie au cristal donnent dans le spectre d’émission gamma une raie d’énergie plus faible que E0 et environ un million de fois plus étalée que la raie Mössbauer, puisque sa largeur est comparable à l’énergie des phonons (environ 10 size=1漣1 eV). Pour des raisons similaires, le spectre d’absorption gamma par des noyaux du même isotope, également représenté sur la figure 1, comporte lui aussi une raie Mössbauer très fine d’énergie E0 et une raie diffuse décalée par rapport à E0, mais en sens opposé à celui observé à l’émission. On voit qu’il est donc possible, grâce aux raies Mössbauer, qui ont la même énergie E0 à l’émission et à l’absorption, d’exciter de façon résonnante des noyaux absorbeurs, en les irradiant par le rayonnement gamma provenant de la désexcitation de noyaux du même isotope au sein d’une source appropriée.Pour mieux comprendre la nature de l’effet Mössbauer, il est utile de répondre à deux questions. Le principe de conservation de la quantité de mouvement implique le recul de tout système émetteur. Or, dans un processus d’émission Mössbauer, il n’y a pas dissipation d’énergie de recul au sein du réseau cristallin. Qu’est-il donc advenu de l’énergie cinétique de recul? On doit admettre que c’est tout le cristal qui recule alors en bloc, emportant une énergie cinétique E R = E02 / 2 Mc 2 complètement négligeable par rapport à l’énergie de recul ER du noyau libre, puisque, cette fois, c’est la masse M du cristal qui intervient au dénominateur et non plus la masse m d’un seul noyau. La seconde question concerne l’absence d’élargissement thermique de la raie Mössbauer : il semblerait, à première vue, qu’un élargissement considérable de cette raie doive intervenir du fait de l’effet Doppler aléatoire, associé aux mouvements désordonnés d’agitation thermique des noyaux émetteurs ou absorbeurs dans la matière. En réalité, dans un solide, les mouvements atomiques sont des vibrations de période très courte et la vitesse des noyaux change de sens un grand nombre de fois pendant la durée d’émission (ou d’absorption) du train d’onde électromagnétique du photon gamma. Dans ces conditions, l’onde n’est pas affectée par l’effet Doppler, mais elle est modulée en fréquence par les vibrations du noyau. Or la théorie classique de la modulation de fréquence prévoit l’existence dans le rayonnement modulé d’une composante spectrale de fréquence inchangée (la raie Mössbauer), accompagnée de raies satellites qui se recouvrent les unes et les autres pour former la raie diffuse dont il a déjà été question.L’effet Mössbauer a pu être mis en évidence sur plus de 70 isotopes, dont certains possèdent plusieurs transitions utilisables. L’effet cesse d’être observable pour des transitions d’énergie E0 supérieure à environ 160 keV. L’isotope de fer 57Fe (E0 = 14,4keV), qui possède des caractéristiques exceptionnellement favorables à l’effet Mössbauer, est de très loin l’isotope le plus utilisé.Intérêt et conditions d’emploiLes raies Mössbauer possèdent la largeur naturelle 臨 liée à la vie moyenne 淪 de l’état excité du noyau par la relation d’incertitude 臨. 淪 = h /2 神 (h étant la constante de Planck), et leur résolution 臨/E0 approche couramment 10-13, ce qui fait du rayonnement gamma émis sans recul l’un des rayonnements électromagnétiques les mieux définis en énergie dont disposent les physiciens. Ce rayonnement a donné naissance à une spectrométrie à très haut pouvoir de résolution: la spectrométrie Mössbauer.Du point de vue expérimental, un montage de spectrométrie Mössbauer comporte essentiellement:– Une source capable de produire les photons gamma sans recul, dans laquelle les noyaux excités émetteurs sont généralement créés par la désintégration d’un isotope radioactif convenable au sein d’une matrice solide: ainsi le cobalt 57 (57Co) est-il le «parent» radioactif de l’isotope 57Fe.– Une lamelle de l’échantillon à étudier placée devant la source et contenant, dans leur état fondamental, des noyaux absorbeurs du même isotope que les noyaux émetteurs de la source (57Fe dans l’exemple ci-dessus).– Un dispositif permettant de mouvoir la source à vitesse variable pour modifier à volonté par effet Doppler l’énergie du rayonnement 塚 de part et d’autre de la valeur E0. Le spectre d’absorption Mössbauer (fig. 2) s’obtient en mesurant le flux de photons gamma transmis par l’échantillon en fonction de la vitesse de la source et, par conséquent, en fonction de l’énergie du rayonnement. Les raies d’absorption, au nombre de six dans l’exemple représenté sur la figure 2, correspondent à des minimums d’intensité du flux transmis. Les vitesses requises vont d’une fraction de millimètre par seconde à plusieurs dizaines de centimètres par seconde suivant les expériences.Une structure à raies multiples comme celle de la figure 2 résulte de l’éclatement des niveaux d’énergie nucléaire en sous-niveaux rapprochés (dits «hyperfins») sous l’effet des influences magnétiques et électriques de l’entourage électronique. Une analogie entre énergies et longueurs permettra de mieux apprécier l’extraordinaire pouvoir de résolution mis en œuvre: la variation relative d’énergie entre deux raies consécutives du spectre de la figure 2 est équivalente à une variation de moins de cinq millimètres de la distance séparant la Terre et la Lune.Les sources utilisées en spectrométrie Mössbauer d’absorption sont généralement choisies exemptes de séparation hyperfine; inversement, on choisit des absorbeurs à une seule raie lorsqu’on étudie des spectres Mössbauer d’émission comportant des raies multiples.Principales applicationsSensible à l’environnement immédiat du noyau de l’isotope choisi, la spectrométrie Mössbauer est un moyen d’investigation à la fois local et sélectif de la matière à l’état solide. Cette «sonde» est donc très employée, en recherche fondamentale comme en recherche appliquée, dans l’étude des propriétés physiques et chimiques des corps solides cristallisés ou amorphes.Un premier paramètre accessible à la mesure est le déplacement isomérique de la raie Mössbauer, petit décalage de l’énergie E0 de la transition nucléaire dû à la pénétration de certains électrons dans le noyau, qui renseigne notamment sur l’état de valence de l’ion Mössbauer et la nature des liaisons chimiques qui le concernent.Les structures hyperfines des niveaux nucléaires résultent de l’action sur les moments magnétiques nucléaires (ou sur les moments quadrupolaires électriques) des champs magnétiques (respectivement des gradients de champ électrique) «vus» par les noyaux dans l’échantillon étudié. L’analyse de ces structures fournit des renseignements sur les propriétés magnétiques de l’échantillon ainsi que sur le nombre et sur les caractéristiques de symétrie locale des divers types de sites occupés par les atomes Mössbauer.Enfin, les spectres Mössbauer sont sensibles à certaines propriétés dynamiques : amplitude et anisotropie des vibrations cristallines; diffusion des atomes dans le cristal et agitation de leurs moments magnétiques («relaxation de spins»).L’extension des applications de la spectrométrie Mössbauer est pour une bonne part due aux caractéristiques très favorables de l’isotope 57Fe, ainsi qu’à l’abondance du fer dans la nature, à la variété de ses combinaisons chimiques et à son rôle industriel. De plus, la spectrométrie Mössbauer constitue une méthode d’analyse non destructive d’échantillons. Parmi ses nombreuses applications, mentionnons, dans le domaine de la géophysique, la détermination des différentes formes chimiques du fer présent dans les minéraux et les roches, dans des fragments de météorites ou de sol lunaire; en métallurgie, l’analyse des phases existant dans des alliages aux différents stades du traitement; dans le domaine de la catalyse, l’étude des propriétés physico-chimiques de grains ultrafins, de films et de surfaces; en biophysique, l’étude de la coordination et des propriétés physiques d’atomes de fer dans des molécules biologiques normales ou pathologiques telles que l’hémoglobine, ou la mise en évidence de micro-cristallites de magnétite (Fe34) dans certaines bactéries susceptibles de s’orienter dans le champ magnétique terrestre; en archéologie, la détermination des conditions de cuisson de poteries anciennes, à partir de l’état d’oxydation et des propriétés magnétiques du fer provenant des argiles utilisées, ou encore l’analyse des pigments employés dans les peintures des tableaux anciens, etc.Du fait de l’extraordinaire précision en énergie du rayonnement gamma émis sans recul, l’effet Mössbauer apparut dès l’origine comme une méthode expérimentale susceptible d’être utilisée pour la vérification de certains concepts fondamentaux de la physique. L’expérience la plus marquante dans cet ordre d’idée fut probablement celle réalisée à Harvard en 1959 par R. V. Pound et G. A. Rebka, qui vérifièrent l’une des prévisions de la théorie de la relativité: le déplacement vers le rouge des raies spectrales dans un champ de gravitation ou, comme on l’appelle parfois, le poids apparent des photons. Ils parvinrent en effet à déceler l’infime perte relative d’énergie (2,5 憐 10-15) de rayons gamma Mössbauer gravissant une distance verticale d’une vingtaine de mètres dans le champ gravitationnel terrestre.
Encyclopédie Universelle. 2012.